Quels rapprochements cette exposition pourrait-elle bien tenter entre les
images de certains masques tragiques de l’Antiquité romaine et les troublantes
puissances-fétiches vaudou ainsi que les masques du Ciwara des Bamana du
Mali ? Quels liens secrets pourraient être tissés entre ces objets apparemment si
étrangers les uns des autres, soumis à nos regards, nous, Occidentaux, si bien
établis dans nos habitudes mentales ?
Les photographies d’Elizabeth Prouvost laissent entrevoir des sortes
d’instantanés : portraits d’ombres fugitives surgissant, hurlant derrière la vitre
du silence le nom de nos terreurs les plus intimes et les plus ancestrales. Elles
proviennent du fond de ces Temps Anciens qui nous sont aussi inatteignables
que de lointains paysages.
D’un autre côté, ces puissances-fétiches trônant dans l’ombre des sanctuaires
vaudou et les masques animés des photographies de Catherine De Clippel
relèvent de toutes autres contrées, de tout autres territoires intérieurs, aussi
terrifiants que subtilement destabilisant, figurations à la fois propitiatoires,
pourvoyeuses de bienfaits et dérobeuses de vies, ayant soif et faim, inspirant
crainte respectueuse, reconnaissance et enjeux de pouvoir.
Nous avons donc d’un côté la mise en mouvements de pesants masques en
pierre, et de l’autre le dévoilement d’entités de bois ou de terre, maculées,
gorgées d’offrandes, fichées dans des poses souveraines autant qu’immobiles,
que compensent d’aériens masques en fibres tournoyant autour des feux
purificateurs. D’un côté, des visions terrorisantes (non dénuées d’une belle
préoccupation esthétique), issues de nos phantasmes infernaux ; de l’autre,
des images intrusives, (par certains côtés documentaires) qui s’approchent au
plus près des pouvoirs occultes de créatures dont la présence peut ruiner nos
raisonnements et nos confortables modes de pensées.
Les royaumes subtils de l’ombre communiquent entre eux ; ils se dérobent à nos
regards ; ils sont de tous les temps, de tous les lieux, de toutes les cultures. Ils
sont à la fois si semblables et si dissemblables : leur questionnement est sans
fin, sans réponse satisfaisante sans doute ; ils sont instables et pénétrants ; ils
nous rendent étrangers à nous-mêmes.
Les deux artistes Prouvost et De Clippel, chacune avec des moyens spécifiques,
des attitudes et des préoccupations différentes, parviennent à nous introduire
au coeur de la perplexité par leur capacité à surprendre des formes matérielles
induites du monde invisible, conduisant de ce fait à l’appréhension de l’indicible,
ce qui ne peut se concevoir sans une certaine réceptivité et une science de
l’initiation.